Prologue : Négociations et embuches

Le conteur remue quelques braises dans le foyer. Il sourit, sentant fixés sur lui les regards impatients des jeunes enfants. Il leur a promis de conter la grande histoire de l'empire des Dragons, depuis son tout début. C'est là une entreprise de longue haleine, mais c'est son rôle.
Ainsi, il commence son récit, la voix presque chevrotante, sour le poids de l'âge.




Cette fois-ci, elle va l'avoir. Elle en est certaine. Une goutte de sueur glisse le long de sa tempe, jusqu'à ses lèvres pincées par la concentration. Le vent calme de la forêt vient caresser ses cheveux.
Accroupie derrière un buisson, l'arc bandé et les muscles tendus, Pichenette observe sa cible, à dix mètres devant elle. Un prespic endormi ronfle doucement. Autour de lui s'élève une mini-forêt de flèches plantées dans le sol, symboles d'un joli nombre de ratages. Habituellement, Pichenette prétexte un test du vent ou de la pesanteur dans cette région du monde, mais cela ne dupe personne. Et puis, autour d'elle, il n'y a personne à duper, alors à quoi bon ?

La petite Cra sent que le moment est proche. Ce coup-ci, elle ne le manquera pas. Et puis chacun sait que les prespics d'Astrub ne sont guère plus que des fénéants... lorsqu'ils sont visibles.

Deux doigts seulement retiennent la corde tendue...

Plus qu'un...

Un battement d'ailes lui masque la vue un instant, lui arrachant un cri de surprise. La flèche part toute seule et se perd dans le feuillage, plus loin, réceptionée par un "Wouaille !" retentissant. Fichus cueilleurs de champignons, toujours là où il ne faut pas !

Pichenette ravalle un juron. Réveillé par le cri, le prespic a disparu. Il ne reste plus qu'elle, un carquois vide et un pigeon voyageur qui, s'il ne s'explique pas très vite de sa conduite déloyale, va finir dans l'estomac de la petite Cra le soir venu.
Mais la sale bête roucoule, désignant du mec un message accroché à sa patte. Le coeur de Pichenette fait un bond. Il n'y a que Deeda pour utiliser ce moyen de communication. Tous les pigeons n'ayant pas été sacrifiés au dieu Sacrieur avec moult sang et moult piaillements servent de messagers à la si jolie jeune femme.

Pichenette en est sûre, il s'agit d'une demande en mariage.
Le muscle cardiovasculaire battant, la petite Cra déplie le message, une myriade d'étoiles dans les yeux.


Le cardiogramme de Pichenette retombe tout aussi vite. Résignée, elle roule le papier en boule et le jette dans l'herbe.

-"Bof..."

Elle ramasse doucement son arc, retenant une larme. Puis, soudainement, venue de très, mais alors TRES loin, une lueur d'intelligence allume son regard.

-"QUOI ?"

La petite Cra se jette sur le papier pour le déchiffrer une fois, puis deux, trois, cinq (son éducation mathématique fut très sommaire) pour enfin comprendre le sens profond et caché du message.

Pierre de Guilde+Vendeur inconscient+Pichenette=Guilde.


Dix minutes plus tard, Pichenette attendait sa dulcinée à la porte Nord d'Astrub, les cheveux en pagaille et le teint rougit par une course dans les bois, quatre chutes et trois foulures consécutives du pied gauche.
Deeda ne tarde pas (ou si peu) à montrer le bout de son nez.
Les deux jeunes filles discuttent longuement. Il s'agit de réunir l'argent nécessaire pour escroq... pour... satisfaire ce vendeur.
Quatre solutions s'imposent.

1- Trouver des aventuriers fortunés prêt à investir dans la créations d'une si belle guilde.

2- Vendre des objets ridicules aux explorateurs amateurs afin de leur soutirer tous leurs kamas.

3- Trouver et arrêter une grosse mégère qui terrorise la région et dont la prime s'élève à 2000 kamas.

4- Vendre le corps de Deeda aux enchères.

La dernière solution est vite oubliée, Pichenette n'est guère partageuse.
D'une voix tout à fait nonchalante, la jeune sacrieur affirme alors :

-"Oh, tu sais, moi j'ai quelques objets... Je te les laisse, tu essaie de les vendre pendant que je regarde de mon côté..."

Et la voilà qui déballe devant les yeux ébahis de Pichenette des objets qui a eux seuls pourraient valoir deux pierres de guilde de ce prix.
Les deux amies se séparent ensuite, pour une plus grande efficacité.
Très vite, Pichenette use de ses dons de télépathie pour envoyer à chaque aventurier désireux de vivre cette grande aventure une invitation à... payer. Mais bien souvent, la petite Cra se heurte a des réponses absurdes et sans significations telles que "Moi je veux bien, mais c'est quoi le èrepé ?".
Désespérée, Pichenette en est réduite à quémander un peu d'argent aux portes de la ville, criant bien fort ses propositions parfois indécentes. Une clef bouftou si chère... cela frôlait parfois l'insupportable...

Enfin, un étranger magestueux s'arrête, et lui jette une bourse pleine de piecettes (receptionée par le nez de la jeune fille, c'est dire toute l'élégance dont elle peut faire preuve) en echange d'une clef des champs.
Avec l'aide d'une jolie fée qui vient de la contacter, par télépathie encore une fois, Pichenette totalise à présent toute la somme demandée par le vendeur !

Sautant de joie, elle relâche le pigeon, qui, heureux de ne pas servir de dîner, s'empresse de livrer le message à Deeda.

Une heure plus tard, Pichenette sirotait sa sixième bière au comptoir de la taverne d'Astrub en compagnie de son secret amour, attendant la venue du pig.. du... vendeur. Toute l'après midi durant, elles avaient cavalé pour récolter la somme, manquant plusieurs fois de se faire avoir par des individus malhonnêtes. Et à présent, il ne restait plus qu'à...
Le vendeur venait de passer les portes de la tavene.


Il fallut quelques temps le lendemain matin à la petite Cra pour se souvenir de ce qu'il s'était passé... Des images floues se noyaient dans des litres d'un liquide mousseux et rafraîchissant... Ce ne fut que lorsqu'elle sentit une douloureuse bosse sur son arrière train provoquée par un cailloux douteux que tout lui revint en mémoire.

Un sourire béat s'afficha sur ses lèvres. Il n'y avait plus qu'à se rendre dans ce temple ancien, dans les montagnes... Ce temple légendaire où l'on disait que seul un coeur pur pouvait y créer sa guilde...

Mais ceci... est encore une autre histoire.




Toujours souriant, le vieux conteur jette de la terre sur le foyer pour éteindre le feu. Les enfants ne disent rien, admiratifs. Ainsi, était-ce là la genèse du gigantesque empire des Dragons ?
Malheureusement, il leur faut attendre le lendemain pour connaître la suite...